L’eau
commença à décroître. La boulangerie à l’angle ouvrit de nouveau. Pour la
première fois après un long silence, il alla chercher le pain. Il fut absent
longtemps, je commençai à m’inquiéter, à m’accuser car je ne l'avais pas suivi.
Finalement, il revint : « Où est le pain ? » - demandai-je
et remarquai seulement alors que Piou-Piou pleurait (ainsi l’appelait Joce).
- J’ai
oublié où se trouve la boulangerie « Chez vous »[1]…
Je le pris
par les mains – comme elles étaient devenues froides !
- Voilà –
continua-t-il, ne me remarquant pas – elle a toujours été au coin… - il se mit
à s’inquiéter. – Je n’arrive pas… pourquoi ? Comment j’ai pu oublier… ne
comprends pas[2]… -
Albano me regardait – Ne me laisse pas[3]… - serra
fort mon poignet comme s’il se cramponnait à une main courante ou à un câble
qui le sauvait d’une crevasse que je ne voyais pas – ne me laisse… jamais[4]…
I
Pistou se
couchait et se réveillait toujours de bonne humeur, souriait. Son pelage
luisait. C’était un cocker anglais. Je doute qu’il ait connu
l’Angleterre : il comprenait le français, l’italien, le russe.
Il entrait
dans mes attributions de le promener.
« Nos
promenades devinrent un rituel compliqué. Lorsqu’il m’ôtait le collier, j’étais
obligé d’être assis. Je savais cela par cœur, mais ne l’exécutais pas. Il se
fâchait à chaque fois de nouveau – c’est vrai. Je montais l’escalier en
courant, en regardant s’il me suivait. Puis il demandait : « Où est
ton ballon[5] ? »,
après quoi je frétillais de la queue, aboyais… Et ainsi de jour en jour, ma vie
s'imbriquant dans la sienne.
Pour quelles
raisons tout était opposé ? Lui, c’était un dieu et moi, j’étais celui
qu’il avait acheté pour l’honorer. Toutefois, il ne convenait pas que je
posâsse de telles questions : je n’étais pas un quelconque matou ».
...
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